NON, à la déformation de l’histoire politique révolutionnaire du Kamerun.
Je suis heureux du Pr Achille Mbembe pour sa réception du prestigieux prix Holberg 2024, une distinction relative aux multiples travaux et ouvrages du distingué.
Parmi ses travaux et livres surtout ceux concernant le Kamerun sur sa lutte de libération socio-politique dirigée par l’Union des Populations du Cameroun (UPC) et ensuite sa lutte armée révolutionnaire. Pour ces œuvres, j’exprime ma reconnaissance au Pr Mbembe pour la primauté d’avoir fait connaître les “Ecrits” de Ruben UM NYOBE, leader de l’UPC. Les “Écrits” jadis proscrits par l’Etat fasciste français et ensuite la soldatesque d’Ahidjo et autres.
Ceci dit, modestement, je m’insurge contre le Pr Mbembe pour sa déformation de la présentation idéologique de Ruben UM NYOBE et accessoirement de sa lecture singulière des étapes de la vie politique révolutionnaire de l’UPC.
1- La déformation de la présentation du choix idéologique de Ruben UM NYOBE.
Nous savons que l’instituteur communiste français Gaston Donnat est arrivé au Cameroun le 10 avril 1944. De là, Donnat avec d’autres communistes français à Yaoundé créèrent en juillet 1944 “Le Cercle d’études marxistes”. Même si pour les besoins d’officialisation ” Le Cercle d’études marxistes” prit une dénomination différente : ” Le Cercle d’études sociales et syndicales de Yaoundé.” (1). Et son but officiel : <<faire connaître à ses adhérents les principes qui régissent la constitution d’une société démocratique>>(2). Néanmoins pour Donnat et ses camarades, le bien fondé et l’orientation du “Cercle” demeurent clairs : << La formation et la préparation, sous les auspices du marxisme, des jeunes Kamerunais d’alors à la décolonisation et aux destinés de leur pays.>> (3).
Au Kamerun, un “Cercle d’études marxistes ” exista à Yaoundé et un autre à Douala. Tous les deux dirigés par les militants communistes français de divers secteurs d’activités. C’est de là que sortirent les premiers cadres autochtones, dirigeants des syndicats naissants et ensuite la plupart d’eux s’engagerent dans les premières luttes politiques pour la décolonisation du Kamerun.
Des années plus tard, après l’assassinat de Ruben UM NYOBE au maquis le 13 septembre 1958, à titre d’hommage Gaston Donnat dira : <<Ce fut plus qu’un camarade, ce fut un ami, un frère, un héros. C’était un marxiste, un dirigeant national de grande classe. L’ennemi ne s’y était pas trompé. Il s’est acharné sur lui jusqu’au crime.>>(4).
Hélas, concernant la formation politique et le choix idéologique de R. UM NYOBE, selon le Pr Mbembe : << Quelques années passées dans les Cercles d’Etudes Sociales animés par des militants de la C.G.T. (Confédération Générale du Travail) française lui permettent de s’initier non pas au maniement de la dialectique ou aux subtilités du “matérialisme historique” mais à des rudiments de la pensée marxiste.>> (5)
Le Pr Mbembe continue : <<Son (UM NYOBE) passage dans les “Cercles d’Etudes Sociales” semble surtout avoir pour résultat un accroissement de ses capacités d’organisateur et l’acquisition d’une méthode rigoureuse de travail et d’analyse. Sa philosophie de l’existence est restée quant à elle marquée par son éducation traditionnelle et celle chrétienne.>>(6).
Certes, le Pr Mbembe connaît bien le marxisme et surtout il sait mieux reconnaître celui qui l’a vraiment assimilé !
Mais que dire quand Ruben UM NYOBE, lui-même, déclare : <<Les Nationalistes Révolutionnaires se basent sur les principes marxistes vérifiés…>>(7)
Et UM NYOBE conclut : <<Nationalistes Révolutionnaires, nous luttons pour acquérir pour le Kamerun et pour lui seul, une véritable indépendance nationale avec l’Unification comme condition préalable, simultanée ou consécutive, mais jamais exclue.>> (8)
Finalement, Ruben UM NYOBE est-il marxiste ou pas?
Que devons-nous comprendre et conclure ?
Pour un meilleur éclairage, revisitons l’Histoire : d’où est né le terme “Nationaliste révolutionnaire ” qui est de conception léniniste, dont se réclame UM NYOBE ❓
Dans le Rapport de la Commission nationale et coloniale au II ème Congrès de l’Internationale Communiste du 26 juillet 1920, il est écrit : <<Nous avons discuté pour savoir s’il serait juste ou non, en principe et en théorie de déclarer que l’Internationale Communiste et les partis communistes doivent soutenir le mouvement démocratique des pays arriérés ; cette discussion nous a amené à la décision unanime de remplacer l’expression mouvement <<démocratique bourgeois >> par celle de mouvement national-révolutionnaire.>> (9)
Il s’agissait de quoi à l’époque ❓Il était apparu clairement que dans les pays arriérés ou coloniaux, la bourgeoisie locale rentrait en collusion avec la bourgeoisie impérialiste des pays oppresseurs pour combattre les mouvements révolutionnaireset et les classes révolutionnaires dans leur pays.
Alors, il a fallu faire dans les pays arriérés et coloniaux, une nette différence entre le mouvement démocratique bourgeois qui devenait réformiste et le mouvement national révolutionnaire.
Ainsi, nous les héritiers des Nationalistes Révolutionnaires, nous sommes reconnaissants du grand soutien apporté à l’UPC mouvement nationaliste révolutionnaire pour sa longue lutte contre le colonialisme et le néo colonialisme par le Mouvement communiste international.
Alors ne pas reconnaître ou ne pas accepter la véritable identité idéologique de Ruben UM NYOBE n’est-il pas une tentative de déformer cette réalité idéologique de l’illustre révolutionnaire kamerunais ?
Cela pour quels objectifs et pour les intérêts de qui?
2- Le Pr Mbembe parle à plusieurs de l’UPC historique (10). Il est libre.
Néanmoins, nous, nous savons que cette expression sous-entend une explication et une compréhension singulières.
Nous sommes, aussi, libres de notre interprétation : ces mots de l’UPC historique veulent dire qu’ il y ait eu une UPC immémoriale, grandiose et particulière. Sûrement au temps des leaders historiques. Et après l’exécution d’Ernest Ouandie en janvier 1971, cela marquait la fin de la grande et la vraie UPC. Quelques auteurs estiment même qu’après l’assassinat de Ruben UM NYOBE, fut la fin de la vraie UPC.
Pour les héritiers des Nationalistes Révolutionnaires, certes l’UPC dans sa longue lutte révolutionnaire a été tant combattue par l’impérialisme occidental, les États-Unis et leurs serviteurs locaux. Elle a subi de multiples assassinats, des disputes, des ruptures et mêmes les trahisons mais l’UPC combattante, d’hier à aujourd’hui, tel un roseau a plié sans rompre…
En fait, d’hier à aujourd’hui, il n’y a que deux UPC :
1- L’UPC révolutionnaire anticolonialiste, panafricaniste, internationaliste et anti néo colonialiste depuis Um, Moumié, Kingue Abel, Ernest Ouandié, Marthe Moumié, Marthe Ouandie, Mme Ngapeth, Singap Martin, Tankeu Noé, Makanda Pouth, Njassep Mathieu, Makembe Tollo Adolphe, Gabriel Abollo, Osende Afana, Woungly Massaga (malgré tout) et Michel Ndoh, Moukoko Priso, Mack-Kit, Mouen Gaspard, Victor Kamga, Ndema Same et Moutoudou Albert (la filiation historique). (11).
Bien que fragilisée, l’UPC combattante est vivante. .
2- L’UPC collaborationniste hier avec l’état français et aujourd’hui avec la dictature locale : de Mayi Matip jusqu’à ses diverses ressemblances actualisées qui se battent entre elles pour savoir qui “s’agrippent mieux au serpent”.
Bien sûr, quelques rares militants sérieux sont dans les rangs de cette UPC. Mais, je crois qu’ils savent que dans cette proximité, ils ne pourront rien de mieux dans leurs activités politiques sans l’accord de leurs multiples “Directions” affiliées au régime en place.
Néanmoins, au-delà de ces quelques divergences, je dirais en plus à l’émérite Pr Mbembe que ce n’est pas par une proximité auprès du pouvoir néo colonial français qui sauvera l’Afrique.
Mais par des nouvelles luttes de libération qui sont menées aujourd’hui au Mali, Burkina, Niger et autres pays..
Nous vaincrons la France Afrique et d’autres impérialismes par nos luttes Révolutionnaires au prix de nos sacrifices.
David Ekambi Dibongue, ancien détenu politique à Tcholliré.
(1) – Eyinga, Abel, Démocratie de Yaoundé, Paris, L’harmattan, 1985, p, 61
(2) – Eyinga, Abel, Ibd.
(3) – Donnat, Gaston, Afin que nul n’oublie. Itinéraire d’un anti colonialiste, Paris, L’Harmattan, 1986, p, 95
(4) – Donnat, Gaston, op., cit., p, 155
(5) – UM NYOBE, Ruben, Le problème national Kamerunais, Paris, L’Harmattan, 1984, p, 8 et 9
(6) – UM NYOBE, R.,op, cit, p, 32
(7) – UM NYOBE, Ruben, Écrits sous maquis, Paris, L’Harmattan, 1989, p, 194
(8) – Um NYOBE, R., op., cit., p, 198
(9) – Lénine, Vladimir, Œuvres, Paris- Moscou, T. 31, p-p, 247-253
(10) -Mbembe, J, Achille, Pouvoir des morts et langage des vivants, Pairs, Kharthala,1986, in Politique Africaine n° 22, p-p, 37-72
(11) – Dr Mack-Kit, Pr Moukoko Priso (Elenga Mbuyinga), L’unité est un combat, Douala, Publication du comité Directeur de l’UPC, Janvier 2021