
Ava Baya et Isabelle Adjani dans le dernier épisode de Soleil Noir (Netflix). – Netflix
CRITIQUE – Tentative de remettre au goût du jour les grandes sagas de l’été, ce thriller dans le monde des parfumeurs dégage des effluves de navet, entre rebondissements improbables, interprétations grotesques et manichéisme confondant.
Avec Marseille diffusée à partir de mai 2016, Netflix voulait bousculer le marché des fictions hexagonales. Mais, pour reprendre une expression courante de la cité Félix-Pyat où se déroulait en partie l’action, c’était “tarpin” mauvais. Une débandade dans laquelle Benoît Magimel tentait, deux saisons durant, de prendre l’accent marseillais aux côtés de Gérard Depardieu. “Grotesque”, “embarrassant”, “épouvantable canular”… Présentée comme un House of cards à la française, cette série avait suscité alors plus de critiques qu’il n’y a de sardines dans le Vieux-Port.
Avec Soleil noir, le géant du streaming s’implante à nouveau dans le sud-est de la France. Précisément du côté de Grasse. Dans le superbe domaine des Lasserre, des grands producteurs de roses. Des maîtres du pétale, des artistes de la Centifolia, cette si précieuse fleur de mai. Attention aux épines ! Et aux effluves pas très nettes que peuvent exhaler cette demeure ancestrale et les secrets de la famille qui l’habite.
A commencer par ceux d’Arnaud, le patriarche (Thibault de Montalembert), autoritaire et égocentrique. Il est marié à Béatrice (Isabelle Adjani) accro aux jeux et à la boisson. L’héritier (Guillaume Gouix) est forcément falot. La sœur de celui-ci, forcément évanescente (Louise Coldefy, dans un contre-emploi pleurnichard). Les petits enfants (Claire Romain, vue récemment la série Cat’s Eyes et l’espoir Pierre Gommé) sont au diapason d’une caractérisation sans nuance des personnages.
Hommage à Dolmen et Zodiaque
Toute ressemblance avec Le château des oliviers, décor d’un feuilleton de notre enfance, n’est pas totalement fortuite. Nils-Antoine Sambuc, réalisateur de Soleil noir, qui fut l’un des scénaristes de l’excellente En Thérapie, a décidé de faire un clin d’œil aux nombreux téléspectateurs des sagas estivales des années 1990-2000. En y ajoutant du saignant (la série est déconseillée sur Netflix aux moins de 16 ans).
Mais est-ce vraiment une idée lumineuse de rendre hommage à Dolmen ou Zodiaque, autrefois diffusé sur TF1 ? (Ingrid Chauvin n’en demandait pas tant). En audience certainement, Soleil noir se hisse depuis trois semaines Top 10 des fictions non-anglophones les plus regardées sur la plateforme de streaming, avec encore deux millions de téléspectateurs séduits cette semaine. Artistiquement, c’est moins sûr.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ensoleillés possibles si une jeune femme en perdition Alba, incarnée par Ava Baya, ex-candidate de The Voice, ne déboulait dans ce décor luxueux. Cette dernière – maman solo au passé dérangeant – décroche un job d’été dans le domaine, avant de foncer jusqu’à Barcelone pour les vacances avec son fils Léo (Max Hexter).
Un plan idéal…chamboulé deux jours après son arrivée : le patron, Arnaud, est retrouvé assassiné dans le laboratoire d’extraction, et le nom d’Alba est inscrit sur son testament. Elle serait la fille cachée du patriarche et hériterait d’une part de ce domaine en faillite. Tous les regards se portent donc sur cette coupable idéale : du policier balourd à sa nouvelle lignée – des proches tous plus dégénérés les uns que les autres.
Alba en devient, elle aussi, complètement timbrée (car c’est de famille a priori) : elle clame son innocence et réclame son dû. Fait une confiance aveugle à la première avocate venue, se met en quête de sa vraie mère pour découvrir que son vrai père n’est pas celui qu’elle croit. Et dans l’histoire, on se demande comment s’occupe son gamin Léo – personnage le plus mature de la série. Il a 12 ans.
Saturée d’invraisemblances
Trop gros, pour ne pas dire grotesque. La série en devient drôle par l’absurde. Le climax du cringe est atteint dans le dernier épisode quand Béatrice, poignardée et hospitalisée, flirte avec l’au-delà (ou est-ce l’enfer?), dans une sorte de flashback rempli de fondus à l’image de roulette russe, d’un chien qui aboie, d’une horloge – les surréalistes se retournent dans leur tombe. Son ancien mari Arnaud, habillé comme un croupier (merci, parce qu’on n’avait pas encore compris que la marâtre avait un souci avec les jeux d’argent) – lui fait une prophétie cryptique à la Père Fouras. Comme si ce n’était pas assez, elle voit, dans l’obscurité, le visage inquiétant de son nouveau mari – qui est aussi son notaire – avec un orgue qui joue évidemment la Toccata et fugue en ré mineur de Bach. Louons le seigneur pour tous ceux qui vivront cette épiphanie dramaturgique.
Indigeste, saturée d’invraisemblances, la saga ne fait que six épisodes, et on les sent bien passer. Si Soleil Noir peut se targuer d’une vertu, une seule – et on ne l’avait vraiment pas vu venir -, c’est que l’on se dit que finalement la critique a été un peu sévère avec Marseille.