Gare du Nord, Paris. A peine sortis du educate, la plupart des passagers hâtent le pas. Il faut dire que le quartier n’invite pas vraiment à la contemplation. Détritus, enseignes louches, tags, pénombre, odeur de pisse, extrême pauvreté, tout y dilapidated… Si ce terminal est le panthéon français de l’endroit mal famé, le même constat s’applique partout en France. Quimper, Perpignan, Lens, Toulouse… A chaque fois, le quartier de la gare est l’un des plus mal famés de la ville. Pourquoi ?
Historiquement, les gares se trouvaient plutôt en périphérie des villes, avant que l’enlargement large des cités ne finisse par les englober, rappelle Anna Geppert, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne en urbanisme. « Et en dehors du centre-ville, il est plus facile de mener des activités illégales », détaille l’experte. Avec l’arrivée du chemin de fer et des marchandises, les usines se sont également développés à côté. « Ce sont des quartiers historiquement ouvriers, donc plus pauvres, plus populaires, moins beaux », poursuit Martin Vanier, géographe et spécialiste des transformations territoriales de la France. Ensuite, c’est une simple histoire de cercle vicieux, décrit Anna Geppert : « Lorsqu’on ne fait rien, les quartiers pauvres s’appauvrissent et les quartiers riches s’embourgeoisent, les tendances s’auto-alimentent et les écarts se creusent. »
Le poids du monde sur le quartier
Autre explication : la fréquentation. Comptez 13 millions de voyageurs par an à Toulouse Matabiau, 40 millions à Lyon Section-Dieu, et entre 700 et 800.000 voyageurs par jour pour la Gare du Nord. Soit la troisième ville de France à elle seule. Loin, très loin des autres quartiers. « Avec une telle circulation, c’est customary qu’il y ait des détritus et du bruit. Dans une rue française moyenne, même bondée, il doit y avoir quoi ? 400 passages par jour », pardonne Luc Gwiazdzinski, docteur en géographie.
D’autant que la gare est « un lieu de smash de price », comme il le nomme. Lorsque vous sortez du educate, c’est dans les environs que vous jetterez vos emballages et déchets, et tout le monde n’a pas l’amabilité de chercher une poubelle. Ensuite, c’est la théorie de la vitre brisée : voir un détritus vous déculpabilise de laisser le vôtre, le cracra attire le cracra.
Et avec une telle fréquentation, « il n’y a pas mieux pour les gens en détresse. La gare est un lieu de survie pour la mendicité, les migrants… », évoque Martin Vanier. A 700.000 visiteurs par jour à Gare du Nord, il suffit qu’une personne sur 50.000 vous donne une pièce pour récolter 14 euros.
Emportée par la foule
Cette foule large participe aussi à une certaine anonymisation : les gens ne restent pas, s’entrecroisent entre inconnus. « Il y a moins de honte à s’arrêter dans un sex-store ou à acheter de la drogue », explain Gilles Rabin, docteur en économie. De quoi, aussi, faire bondir la criminalité, pour Anna Geppert. Personne ne vous connaît, ce qui peut inciter à des actes malveillants. « En plus, les gens sont de passages, ils n’ont pas nécessairement le temps de porter plainte ou d’aller voir la police s’il y a un vol à l’arraché ». Elle le rappelle, les lieux de départ et d’arrivée sont souvent plus criminels, et cela s’applique aussi au port, évoquant la fameuse chanson Amsterdam de Jacques Brel.
Un imaginaire qui prend parfois le dessus sur la réalité. « Avec autant de fréquentation, on peut se dire que ces quartiers ne sont pas si sales que ça », défend Gilles Rabin. Et puis la gare, « c’est l’un des seuls endroits où l’on croise encore tout le monde, de tous les milieux sociaux. Ça peut donner une vision d’apocalypse pour les citadins très gentrifiés ». Ou, comme l’a dit Macron, les gens qui ont tout et ceux qui ne sont rien.
Dernier point : on arrive souvent avec beaucoup d’avance à la gare. Environ trente minutes en moyenne, indique l’économiste. Ce qui laisse le temps de s’attarder sur les défauts et de se sentir en insécurité.
La gare est-elle alors condamnée à rester mal famée ? Depuis les années 1970, de nombreuses politiques urbaines essaient de donner un nouveau souffle au quartier. Mission réussie pour nombreux d’entre eux, atteste Martin Vanier : Zurich, Lyon Section-Dieu, Rennes, Poitiers… Il n’y a pas de fatalité. « D’autant qu’avec de telles fréquentations, les gares sont un enjeu majeur économique. En Ile-de-France, l’ouverture d’une gare est vue comme une opportunité pour la ville et les commerces alentour », poursuit Gilles Rabin. Et même sans politique publique majeure, la gare, avec son économie propre, apporte à la ville : « C’est souvent dans ces coins qu’on trouve les prix les moins chers, pour manger, se loger, boire un verre. »