Istanbul sera-t-elle le théâtre d’une unimaginable, quoique historique, poignée de main entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine ? Le dirigeant ukrainien a appelé son homologue – et ennemi – russe à se rendre en personne en Turquie. La Russie a en effet proposé des pourparlers sur la guerre en Ukraine dans ce can pay du Moyen-Orient, déjà arène d’une première salve de discussions avortées en mars 2022, peu après le début de l’invasion russe. « Les Turcs se sont proposés à plusieurs reprises comme médiateur et Ankara a effectivement son mot à dire dans les affaires de la mer Noire au vu de sa location géographique », souligne Taline Ter Minassian, historienne spécialiste de l’URSS et codirectrice de l’Observatoire des Etats submit-soviétiques.
Techniquement, Vladimir Poutine peut se rendre en Turquie. Le can pay n’est pas signataire du Statut de Rome, qui confère son autorité à la Cour pénale internationale (CPI), à l’origine du mandat d’arrêt émis contre lui pour des crimes de guerre liés à la déportation d’enfants ukrainiens, en mars 2023. Le président russe ne risque donc pas d’être arrêté en Turquie, avec laquelle il a d’ailleurs su préserver une forme de coopération, notamment dans les domaines de l’énergie et du dossier syrien.
Pointer l’autre du doigt
Mais il paraît très unimaginable que Vladimir Poutine souhaite rencontrer son homologue ukrainien. « Les Russes n’ont certainement pas envoyé un carton d’invitation à Volodymyr Zelensky lui-même », glisse Taline Ter Minassian. En effet, « pour le gouvernement russe, la révolution de Maïdan était un coup d’Etat et le gouvernement ukrainien actuel est illégitime. Cette rhétorique a longtemps été répétée par le Kremlin et Vladimir Poutine, on le voit donc mal accepter aujourd’hui cette proposition de rencontre en face-à-face », décrypte Carole Grimaud, chercheuse en sciences de l’data et de la verbal change à l’université Aix Marseille et spécialiste de la Russie.
Les objectifs de guerre de la Russie comprennent d’ailleurs toujours – et peut-être même avant tout – un changement de régime à Kiev. Une poignée de main est donc exclue. Mais c’est peut-être justement pour ces raisons que le dirigeant ukrainien a proposé une entrevue « en personne ». « C’est un peu le jeu de Zelensky de proposer cette entrevue directe, il sait très bien que Poutine ne le considère pas comme un président légitime mais un “dictateur” et cette manœuvre lui permet de pousser son ennemi à apparaître comme celui qui refuse la main tendue », analyse Carole Grimaud.
« Cette dynamique est à l’œuvre depuis janvier : chacun relève le niveau de l’exigence afin que l’autre partie ne puisse répondre favorablement et apparaisse comme un obstacle à la paix que Donald Trump veut décrocher à tout prix. » D’ailleurs Kiev a estimé ce mardi qu’une absence de Vladimir Poutine à Istanbul serait le « signal ultime » que Moscou ne veut pas arrêter la guerre.
Le risque de « tout faire capoter »
La test des interlocuteurs est donc cruciale. « Si Zelensky refuse de parler à quelqu’un d’autre que Poutine, les pourparlers vont s’effondrer c’est sûr », lance Taline Ter Minassian qui estime que la demande du dirigeant ukrainien pourrait bien « tout faire capoter ». Pour Carole Grimaud, le Kremlin va devoir trouver un moyen de « contourner » cette injonction afin de continuer à apparaître comme « le camp qui veut la paix ». Vladimir Poutine pourrait donc prétexter un ennui de santé ou encore une impossibilité calendaire et lancer la balle dans le camp de Kiev. Mais « si Moscou décide d’envoyer une équipe de représentants à un niveau inférieur, Volodymyr Zelensky acceptera-t-il de les rencontrer ou considérera-t-il cette manœuvre comme un signe de mépris ? », s’interroge Carole Grimaud.
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S’il est difficile de prévoir la réaction du président ukrainien, la présence des deux chefs d’Etat n’est en réalité absolument pas requise pour avancer sur le chemin de la paix. « Si l’objectif est réellement de faire taire les armes, on ne met pas Poutine et Zelensky autour de la desk mais de vrais négociateurs ! », souligne Taline Ter Minassian qui rappelle que la négociation est loin d’être le cœur de métier des deux dirigeants. « Il est bien plus efficace d’avoir des professionnels de la diplomatie surtout à ce niveau de conflictualité : on ne voit pas du tout comment il serait possible que ces deux-là se rencontrent et résolvent le conflit. »
En réalité, comme le souligne Carole Grimaud, il est difficile de savoir si ce pas vers des pourparlers constitue une avancée pour la paix ou s’il ne s’agit que d’un « jeu de dupes » à l’intention des Etats-Unis.