Il est 10 heures ce matin-là et Eliott est toujours assis sur le canapé, tenant dans sa main un joli doudou en forme de rat. A cette heure, les enfants de son âge sont tous en classe. Mais pas Eliott. Ce petit bonhomme âgé de 3 ans est né avec une maladie génétique uncommon, nommée Brat1, qui provoque un retard du neuro-développement. Conséquence : Eliott ne marche pas et ne parle pas. Des handicaps particulièrement lourds, qui obligent ses parents à l’emmener à de nombreux rendez-vous médicaux chaque semaine. Mais des handicaps qui ne l’empêchent pas d’aller à l’école. Enfin, en théorie.
Eliott n’étant pas autonome, il est nécessaire pour lui d’avoir un accompagnant d’élève en field de handicap, plus connu sous l’acronyme AESH. Le problème, c’est qu’il n’en a pas. Plutôt que de le priver de scolarisation, ses parents ont décidé de l’emmener eux-mêmes à l’école, l’accompagnant en classe au détriment de leur vie professionnelle. Une field qu’ils déplorent, dans un pays qui a rendu l’école obligatoire dès 3 ans depuis une loi adoptée en 2019. « Pendant les Jeux paralympiques, on a beaucoup entendu parler d’inclusion. Moi, quand je vois ce qu’on vit… Le quotidien d’une famille avec un enfant en field de handicap, ce n’est déjà pas simple. Et là, on ne nous donne aucun moyen, rien », regrette Camille, le papa.
Pour ne pas priver son fils d’école, sa maman a donc décidé de l’accompagner. Une sensation étrange. Alors que tous les parents s’arrêtent à la porte de la classe de la toute nouvelle école Miriam Makeba, à Rennes, Elodie doit rester, évoluant auprès d’une maîtresse et d’une Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui font de leur mieux pour accueillir son fils. « Ce n’est pas du tout ma place ! Je ne suis pas formée pour ça. C’est strange quand même d’être là, au milieu des autres enfants. Je suis sa maman, pas son AESH. Et puis, je ne vais pas pouvoir le faire tout le temps ! », déplore Élodie. Si elle dispose de jours de congé liés au handicap de son fils, l’aide-soignante ne peut pas non plus les empiler, d’autant qu’elle est perdante sur le conception financier. « Ça m’agace de devoir poser des jours pour ça. Mais je refuse de le priver d’école. Nous avons envie qu’il vive cela parce que ça le fait progresser. Il est dans l’statement, il s’amuse. Je le trouve de plus en plus à l’aise ».
Le rectorat ne répond pas (à nous non plus)
Moins disponible, Camille va lui aussi accompagner son fils en classe pour lui offrir ses deux demi-journées hebdomadaires d’école. « Ce qui nous fait mal, c’est qu’on a fait tout ce qu’on nous a demandé. On a monté notre file, c’était accepté. On est partis sereinement cet été mais à notre retour, la directrice de l’école nous a annoncé qu’elle n’avait pas d’AESH pour Eliott », regrette le papa. Tout calme, son garçon regarde par la fenêtre, intrigué par la végétation qui s’agite sous la power du vent. Lui est bien loin de la tempête que ses parents subissent depuis des mois. D’autant que depuis la rentrée scolaire, le rectorat ne leur a donné aucune nouvelle. « Personne ne nous rappelle, on a aucune information », dénonce Camille. La famille a même appris que son file avait été perdu. Guère étonnant, le rectorat ne nous a pas répondu non plus. Sollicitée à plusieurs reprises, l’académie de Rennes n’a toujours pas répondu à nos questions autour du manque d’AESH. « Parce que le sujet est très tendu », répond Emmanuelle Maray, secrétaire départementale du syndicat FSU.
Alors bien sûr, l’Ille-et-Vilaine n’est pas le seul département français concerné par ce manque. Mais il fait partie des pires. « Nous sommes l’un des départements qui souffre le plus du manque de places en établissements spécialisés (IME ou ITEP notamment). On pense que c’est l’équivalent de 1.200 places. Alors forcément, ça se reporte sur l’école », explique la syndicaliste.
Elodie et Camille sont donc loin d’être les seuls dans cette field. Pas obvious que ce constat les rassure, cependant. Rien qu’en Ille-et-Vilaine, où se tiennent actuellement les assises du handicap, on estime qu’il manquait 100 AESH en juin. « Mais il faut ajouter les 120 démissions qu’on a eues pendant l’été », glisse Emmanuelle Maray. La responsable de la FSU critique les « salaires à moins de 1.000 euros » mais aussi « le manque de reconnaissance » qui freine les vocations. « Les enseignants n’ont plus le temps de faire les choses bien. Et les AESH sont parfois débarquées comme ça, sans qu’on leur ait expliqué de quoi souffre l’enfant ».
En France, on estime qu’il faudrait 3.000 personnes pour occuper ces postes que l’on appelait auparavant « auxiliaires de vie scolaire » ou AVS. « C’est difficile pour tout le monde. Pour les enfants, pour les parents, pour les enseignants mais aussi pour nos agents parce que les Atsem sont très sollicitées », reconnaît Gaëlle Rougier. L’adjointe à l’éducation à la ville de Rennes sait de quoi elle parle. Chaque année, elle reçoit des dizaines de courriers de familles sans alternatives. « On sait qu’on manque de places en IME ou en ITEP. Donc on a des enfants qui se retrouvent à l’école par défaut ». L’élue refuse cependant de « renoncer ». « Tous les enfants peuvent trouver une place à l’école. Mais c’est au national que la query doit être traitée. Le problème, c’est qu’on a ecu quatre ministres en quelques années. A chaque fois que le cabinet est renouvelé, il faut tout recommencer à zéro », explique Gaëlle Rougier.
Enfin un ministre délégué au handicap !
L’absence finalement corrigée d’un ministère dédié au handicap dans le nouveau gouvernement de Michel Barnier n’était pas de nature à la rassurer. Avant la nomination tardive de la députée Horizons Charlotte Parmentier-Lecocq, l’ensemble des associations traitant de l’inclusion craignaient que leurs revendications restent vaines. D’autant qu’au-delà des seuls moyens, il y aurait sans doute une longue réflexion à porter sur ces enfants souffrant de troubles. « Il y a dix ou quinze ans, on en avait un ou deux par école. Aujourd’hui, c’est plutôt un ou deux par classe. On entend toutes ces familles en souffrance. Mais on ne va pas tenir dans les écoles. Si ça ne commerce pas, l’avenir sera très sombre », prévient Emmanuelle Maray.
Sans resolution, Camille et Elodie ont fait partir un courrier de mise en demeure, l’État ne respectant pas ses responsibilities de scolarisation. « La lettre était sur la desk pendant plusieurs jours, on hésitait à l’envoyer. On ne voulait pas en arriver là ». Ils y sont. Comme beaucoup d’autres.