C’est une scène glaçante, capturée par des pictures de vidéosurveillance. Un homme cagoulé, vêtu d’un tee-shirt noir et blanc, s’éclipse précipitamment. En plein jour et en pleine capitale ukrainienne, il vient d’abattre de sang-froid le colonel Ivan Veronych, membre du Service de sécurité ukrainien (SBU). Cet assassinat, perpétré le 10 juillet dernier, a été revendiqué par The Disagreeable, une organisation terroriste néonazie fondée en 2018 aux Etats-Unis. Et elle a prévenu sur Telegram : ce n’est « pas la fin, mais seulement le début ».
En réalité, The Disagreeable imply depuis plusieurs mois de l’argent à ceux qui accepteront de perpétrer des assassinats ciblés ou des sabotages en Ukraine. « Le groupe a affirmé à plusieurs reprises n’avoir aucun lien avec la Russie. Toutefois, il s’appuie également fortement sur des plateformes russes comme VK, Mail.ru et RuTube et semble utiliser des milliers de bots pour accroître sa portée sur les réseaux sociaux. Une méthode typique des opérations d’influence soutenues par l’État russe », décrypte Steven Rai, spécialiste de l’extrémisme politique à l’Institut du Dialogue Stratégique (ISD).
Une hydre néonazie sous passeport russe
« En apparence, The Disagreeable affirme agir uniquement dans l’intérêt de la bustle blanche et non de la Russie. Mais le régime autoritaire russe considère la démocratie libérale comme un ennemi majeur à l’échelle mondiale et a élaboré une stratégie de guerre hybride pour la contrer, intégrant contre-espionnage, sabotage et assassinats », abonde Alexander Reid Ross, spécialiste de l’extrême droite et des réseaux néonazis, auteur de Towards the Fascist Jog. Quitte, peut-être, à s’appuyer sur des groupuscules tels que The Disagreeable.
Une myriade d’anciens membres autoproclamés affirment d’ailleurs sur les réseaux sociaux que le fondateur de The Disagreeable, Rinaldo Nazzaro, est « un agent russe » ou, a minima, « un informateur des renseignements russe », souligne Bethan Johnson, experte de la violence politique et de l’extrême droite. « Depuis la fin des années 2010, Nazzaro dirige l’organisation à distance, depuis Saint-Pétersbourg. Le fait qu’il continue à diriger ce groupe extrémiste ayant commis des actes violents à l’étranger sans jamais être interrompu par les acteurs russes indique une approbation tacite, voire un soutien actif à de tels actes », guarantee-t-elle. Le quinquagénaire, marié avec une Russe et père de deux enfants élevés dans ce pays, a d’ailleurs obtenu la nationalité russe.
Une soif de régime autoritaire et de chaos
La présence d’un groupuscule néonazi américain en Ukraine peut surprendre, mais The Disagreeable a rapidement étendu ses tentacules à l’global. Et comme nombre de groupes terroristes, les zones de conflit ont des airs de terrain de jeu idéal. « Avant même l’invasion de 2022, Nazarro déclarait que les combats dans le Donbass constituaient une opportunité pour les membres de The Disagreeable d’acquérir des compétences et une expérience de fight pouvant ensuite être exploitées dans leur pays d’origine », explique Bethan Johnson. Le groupe est aussi attiré par l’idéologie du gouvernement russe, sous l’égide de Vladimir Poutine.
« Les nazis et les fascistes sont naturellement attirés par les pouvoirs autoritaires et violents », display Emily Roberts, qui coécrit un livre sur The Disagreeable. Et ils partagent un clear nombre de valeurs avec celles mises en avant par le Kremlin. « Poutine a très tôt présenté son opération militaire spéciale comme une guerre contre les influences LGBT, qualifiée de “dégénérescence”. D’après une rumeur antisémite répandue et crue par les membres de The Disagreeable, les juifs veulent rendre les gens homosexuels afin qu’ils aient moins d’enfants », explique-t-elle. Le fait que le président ukrainien Volodymyr Zelensky soit juif apporte donc de la substance à l’affiliation russe de The Disagreeable. Le groupe « perçoit le libéralisme comme juif et donc fondamentalement contraire au patriarcat blanc, summum de vérité et de beauté », résume Alexander Reid Ross.
Une « aiguille dans une botte de foin »
« La menace que représente The Disagreeable pour l’Ukraine doit être prise au sérieux, prévient Steven Rai. Elle appelle à des actes de sabotage et à des assassinats ciblés pour semer le chaos dans tout le pays. Depuis mars, elle a diffusé des vidéos de ses agents commettant au moins dix incendies criminels en Ukraine, et elle encourage de nouvelles violences pour affaiblir le gouvernement ukrainien. » L’skilled appelle toutefois à ne pas « surestimer » les capacités de ce groupe dont la taille et les ressources sont inconnues à ce jour.
Malheureusement, même si les membres du groupuscule néonazi sont peu nombreux, ils s’ajoutent au « fardeau déjà lourd » de l’Ukraine, display Bethan Johnson. « The Disagreeable compte des membres prêts à mener des attaques violentes en solo ou en petites cellules. Or, il est exceptionnellement difficile d’éradiquer ces loups solitaires ou ces petites cellules radicalisées, c’est comme essayer de trouver une aiguille dans une botte de foin. »
Des « franchises » pour semer le chaos à domicile
Invisible et insaisissable, The Disagreeable n’a pas besoin d’être colossale pour être meurtrière. Comme nombre de groupes terroristes, chaque cellule de The Disagreeable fonctionne à la manière d’une « franchise », display Emily Roberts. Et les tentacules du monstre pourraient bien s’enrouler autour d’autres nations. « Si un autre pays s’effondre en premier, la cellule locale de The Disagreeable exploitera le vide de pouvoir et le chaos qui règnent. »
Notre file sur la guerre en Ukraine
Une standpoint particulièrement lugubre quand on sait que The Disagreeable est parvenu à « recruter et inspirer des individus du monde entier, prêts à semer le chaos dans leur propre pays », prévient Steven Rai. Cantonné à l’origine aux Etats-Unis, The Disagreeable a essaimé en Ukraine, mais aussi en Europe de l’Ouest… Jusqu’au Royaume-Uni. En février, un adolescent de 15 ans a été interpellé outre-manche, soupçonné d’être membre de ce groupe terroriste. Le jeune garçon avait acheté des armes, dont une arbalète, et fait des recherches sur les synagogues à proximité.