«Un bon intervieweur, c’est quelqu’un qui, quand il était petit, aimer bien arracher les ailes des mouches », s’amusait-il à dire. Thierry Ardisson, décédé ce lundi à l’âge de 76 ans, avait aussi bien le sens de la formule qu’une manière toute personnelle de passer ses invités à la inquire of. « Il faut être un peu sadique. Si vous êtes trop sympa, ça ne marche pas. Il faut avoir envie de titiller, de faire mal, d’appuyer là où ça ne fait pas du bien, sinon, ça ne sert à rien de faire ce job », expliquait-il à 20 Minutes en mai 2019.
L’homme en noir nous avait accordé un long entretien à condition de pouvoir le relire avant newsletter. Une demande qui faisait partie de ses habitudes. Mais s’il l’imposait, c’était pour corriger une éventuelle erreur factuelle et non pour atténuer la teneur de ses propos. Au contraire, il profitait de l’exercice pour ajouter quelques vacheries croustillantes çà et là, conscient qu’une interview réussie ne verse jamais dans la tiédeur.
Lui, avait plutôt tendance à jouer avec le feu. Dès sa première émission, « Descente de police », en 1985 sur TF1, il malmenait ses invités dans un décor de commissariat. Un interrogatoire loin d’une complaisance à la Michel Drucker. Dans la télévision de l’époque, il se démarquait, et il ne lui a pas été difficile d’imposer sa marque de fabrique entre sous-entendus peu subtils et teintés d’agressivité, sensationnalisme et réflexions rigolardes. Une patte souvent imitée et parodiée, notamment par Les Inconnus qui ont pastiché son « Double Jeu » du début des années 1990 sur la Deux en « Anxiety Jeu ».
Sa règle : ne pas bouffer avec ses invités
La seule règle à laquelle il disait ne jamais déroger était de ne jamais se lier avec les personnalités qu’il invitait : « Quand vous devenez copain avec elles, vous ne pouvez pas les interviewer. J’ai passé toute ma vie à ne pas bouffer avec eux pour garder ma liberté de parole. » Ironie de l’histoire, en 2003, quand il a lancé « 93, Faubourg Saint-Honoré » jouant la carte du dîner parisien à son domicile, il n’avait aucune expérience en la matière : « Pour Paris Première, j’ai fait, pendant quatre saisons, vingt-cinq dîners par an chez moi. Je n’en avais jamais fait avant et je n’en ai pas refait après. »
Thierry Ardisson estimait que la télévision actuelle ressemblait à « de la radio filmée ». Lui, avait le sens du décor et de la mise en scène. Du casting aussi. De « Tout le monde en parle » qu’il a animée sur France 2 de 1998 à 2006, il disait que « mettre des gens autour d’une table n’est pas extraordinaire » mais que « ce qui était fortress, c’était de mélanger une pute et un archevêque ». Il n’hésitait pas non plus à servir de l’alcool à volonté dans les loges à ses invités. Les fidèles de l’émission la suivaient parce qu’ils savaient que c’était là que tout pouvait arriver. Comme demander à Michel Rocard si « sucer, c’est tromper ». Ou inviter Thierry Meyssian à dérouler sa théorie du complot sur le 11-Septembre. Rétrospectivement l’animateur admettra avoir commis « une faute ».
« L’humour-humiliation »
« Thierry Ardisson est un manipulateur, que je ne respecte pas », nous a déclaré l’an passé Lio. En 2006, sur le plateau de « Tout le monde en parle », elle s’indignait de la manière dont Marie Trintignant a été tuée par Bertrand Cantat. Face à elle, Muriel Cerf qui minimisait les faits. La séquence est douloureuse à voir. En 2024, également, alors que la Légion d’honneur était décernée à Thierry Ardisson, Christine Angot s’est fendue d’une tribune pour s’indigner de cette reconnaissance et dénoncer « l’humour-humiliation » dont il faisait preuve.
En avril, Laurent Baffie, le sniper de l’émission, a fait son mea culpa : « L’autre jour, je voyais une compilation de vannes qu’on faisait avec des petites chanteuses, ce qu’on appelait des “proies faibles”… Les chanteuses, avec Thierry, on n’était pas tendres. Et il y a des choses qui me font honte, oui », a-t-il confessé. Ardisson a répliqué, énervé, quelques jours plus tard dans les colonnes de La Tribune du dimanche : « [Baffie] prenait 10.000 balles par semaine et aujourd’hui, il vient cracher dans la soupe en disant qu’on était cons et machistes ! »
A 20 Minutes, il y a six ans, il reconnaissait avoir european un côté macho. « J’ai beaucoup changé depuis que je suis avec Audrey [Crespo-Mara, son épouse]. Elle m’a guéri de ça, elle m’a interdit les vannes sexistes ! Je ne me force pas à être moins macho, ça me semble naturel, mais à l’époque, non. »
Postérité
Thierry Ardisson s’était assagi ces dernières années. Même si « Hôtel du Temps », son dernier theory sur France Télévisions en 2022, avait une dimension subversive. By l’intelligence artificielle, l’homme en noir faisait revivre des vedettes décédées pour les interviewer, comme s’il avait le pouvoir de transcender la mort.
Nos articles sur Thierry Ardisson
Lui avait déjà anticipé sa postérité en lançant, en 2020, en collaboration avec l’Institut national de l’audiovisuel, la chaîne YouTube INA Arditube, compilant et contextualisant des extraits de ses interviews les plus mémorables. Pour que tout le monde continue d’en parler.