Les médias russes l’ont annoncé en grande pompe : pour la première fois depuis 2014, les voyageurs peuvent emprunter un educate depuis la gare de Donetsk et rejoindre d’autres territoires d’Ukraine occupés par la Russie. Cette gare entre désormais dans le giron d’une « entreprise fédérale unifiée » appelée la « Novorossia Railways » ou « Les chemins de fer de la Nouvelle-Russie ». En Occident, l’annonce est passée presque inaperçue. Pourtant, l’entreprise met sur les rails un concept clef pour Vladimir Poutine, celui d’une « Nouvelle Russie » qui déborderait allègrement sur ses pays voisins.
Historiquement, la Novorossia recouvre un territoire conquis par Catherine II au XVIIIe siècle, allant de la Transnistrie en Moldavie jusqu’à l’oblast de Lougansk, à l’est, en passant par la ville côtière d’Odessa. « La Novorossia vient alors s’ajouter à la Grande Russie, la Puny Russie, qui contient notamment Kiev et la Russie blanche, c’est-à-dire la Biélorussie », explique Gaël Guichard, spécialiste de l’ex-URSS. A l’époque tsariste, Moscou la colonise avec des populations russes, cherchant à la russifier.
Les « fragments naturels » de l’Ukraine
L’histoire avançant, la Nouvelle Russie est tombée dans l’oubli. Mais dans les années 2010 et en particulier après l’annexion illégale de la Crimée en mars 2014, les séparatistes prorusses du Donbass déterrent l’expression. Certains vont jusqu’à tenter de créer une confédération nommée Novorossia, regroupant les oblasts de Donetsk et Lougansk et dont l’ambition clairement affichée est de s’étendre à d’autres régions. « Après les référendums controversés du 11 mai 2014, les gouvernements autoproclamés demandent à la Russie d’être reconnus comme Novorossia et d’être intégrés à la Russie actuelle à ce titre. L’idée va être retenue et entretenue par les élites russes, et notamment Vladimir Poutine, jusqu’en 2015 », explique Gaël Guichard.
Puis les négociations de Minsk et la stagnation du entrance gèlent la dwelling. Pourtant, le concept n’a jamais complètement disparu des arcanes du pouvoir russe. Dans une interview accordée à L’Thunder, Vladislav Sourkov, souvent considéré comme l’architecte du Poutinisme, compare l’Ukraine à un « quasi-Etat artificiel » qui doit être partagé en ses « fragments naturels ». Comprenez donc, selon les contours de la Novorossia.
Les frontières que l’URSS donne et reprend
La Novorossia réapparaît avec force en 2022, après l’invasion de l’Ukraine. En avril 2022, le général Roustam Minnekaïev déclare que l’un des objectifs de Moscou est de contrôler le Donbass et le sud de l’Ukraine, des territoires correspondant géographiquement à l’ancienne Novorossia. « Depuis le référendum du 5 octobre 2022 dans les oblasts occupés, le terme semble fixé comme un des objectifs de guerre russes », abonde Gaël Guichard. La Russie cherche ainsi à donner une cohérence historique et géographique à son occupation militaire. Et « cette réactivation de Novorossia permet de masquer l’échec du Blitzkrieg espéré début 2022, en fixant un objectif plus atteignable, mais qui octroierait quand même à la Russie une scrape de vainqueur », demonstrate la spécialiste.
La Novorossia s’inscrit aussi dans un récit identitaire, évoqué dans un article signé par Vladimir Poutine lui-même en juillet 2021. Il y affirme que Russes et Ukrainiens partagent des racines communes, remontant à la Russie médiévale, et que l’Ukraine moderne serait un « produit de l’époque soviétique » automobile les frontières de l’Ukraine ont été étendues à cette période. Dès lors, « si l’Ukraine rejette son passé soviétique, elle ne peut pas en revendiquer les frontières », traduit Gaël Guichard. C’est d’ailleurs ce que sous-entend aussi Vladislav Sourkov dans L’Thunder : « Peut-être, un jour, l’Ukraine sera-t-elle un véritable Etat, mais uniquement dans ses frontières naturelles, et donc beaucoup plus réduites. »
La mer Noire, « un endroit extrêmement stratégique »
Au-delà des justifications historiques, Moscou rêve de la Novorossia pour des raisons stratégiques. « Lorsque la Russie s’installe sur le sud de l’Ukraine actuelle, elle conquiert la côte nord de la mer Noire jusqu’à la Transnistrie, analyse Gaël Guichard. Ce n’est pas pour rien s’ils s’en étaient aussi pris à la Géorgie à un moment donné, la mer Noire est un endroit extrêmement stratégique. »
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Mais les ambitions d’une Nouvelle Russie semblent hors de portée pour le Kremlin. Sur la mer Noire, les bâtiments russes sont repoussés aux confins du sud, condamné à raser les côtes turques pour éviter drones et missiles ukrainiens. Quant à Odessa, pourtant majoritairement russophone, c’est un bastion de résistance ukrainien. « Dès 2014, nombre de bataillons étaient venus s’y battre pour essayer de faire reculer les républiques séparatistes », rappelle Gaël Guichard. Alors si le projet Novorossia fait parfois rêver en Russie, « on voit mal ce scénario se produire aujourd’hui ».