Hautain, arrogant, pas souriant, jamais content, quand il ne vient carrément pas vous exproprier de votre baraque de province en bord de mer pour y installer sa clique et garer son Porsche Cayenne, le Parisien représente, dans l’imaginaire des Français, les vrais, ceux de province, l’équivalent de Dark Vador dans Star Wars ou de Biff Tannen dans Retour vers le Futur.
Il est le mal, le vrai, la quintessence de tout ce que l’on déteste sur cette planète, dont il est très certainement d’ailleurs responsable de l’effondrement climatique et moral. S’il en a parfaitement conscience, qu’il en joue parfois, il semble également s’en accommoder. Même si, à la longue, ça fatigue.
« Quand on se casse la gueule, les gens se réjouissent »
« Déjà, en tant que supporter de foot, on est assez mal perçu de manière générale, y’a ce côté un peu beauf, violent. Mais c’est vrai qu’en plus, quand vous êtes estampillé Parisien, c’est pire. Pour la province, Paris c’est le pouvoir, l’arrogance. Même au foot, quand on se casse la gueule, tout le monde se réjouit. Alors pour une fois que c’est Paris qui est à l’affiche de manière positive, on profite, c’est clair », sourit Céline, supportrice du PSG depuis toujours et qui fera le voyage d’une vie à Munich, samedi.
Résidant dans le Pays basque depuis le Covid, le réalisateur Fabien Onteniente a conscience d’avoir participé d’une certaine manière à exacerber encore un peu plus cette haine du Parigot, venu envahir la province avec ses mocassins hors de prix. « On sent qu’on n’est pas toujours les bienvenus. Le contexte post-Covid n’a pas aidé. L’arrivée massive de Parisiens qui, avec leur pouvoir d’achat, achètent des maisons au bord de mer, ce qui oblige les locaux à aller de plus en plus dans les terres, ça fait jaser, ça agace. En Bretagne, c’est pareil. Je dirais que le bobo parisien dérange. Le combo vélo cargo, marinière et lunettes de soleil, ça énerve », témoigne le papa de la saga Camping et de 3 Zéro.
Même s’il admet passer la plupart du temps à travers les gouttes, lui qui est pourtant un titi parisien pur jus, né à Paris même et fan du PSG depuis 1971, alors qu’il n’était encore qu’un gamin. « Je suis Parisien mais je suis connu pour faire des films qui ne leur plaisent pas forcément, donc je ne vis pas trop cet anti parisianisme, se marra-t-il. Pour les Parisiens, je suis le petit mariole qui fait des comédies familiales provinciales, forcément ça aide à être mieux accepté en régions. »
Un anti parisianisme réel ?
Pour le spécialiste en géopolitique du sport (et fan du PSG) Jean-Baptiste Guégan, en revanche, cet anti parisianisme est plus « une construction, une caricature » qu’autre chose. « Même si on est un pays centralisé et que Paris concentre encore le pouvoir politique, institutionnel et économique, c’est plus un phénomène médiatique, une sorte de serpent de mer. Dans les faits, il y a du chambrage, oui, mais ça s’arrête là », assure-t-il. Dès lors, pas besoin de voir dans cette épopée des hommes de Luis Enrique le prétexte idéal pour prendre une quelconque revanche sur les pécores des campagnes.
« Une revanche ? Non. Je parlerais plutôt d’une affirmation d’une capitale européenne qui a enfin ouvert ses yeux sur le sport, ça oui », tranche-t-il. Si ce chambrage provincial est rarement foncièrement méchant, qu’il fait partie du folklore, il peut tout de même en agacer certains. Surtout, paradoxalement, les provinciaux venus vivre à Paris, et qui, une fois de retour chez eux, deviennent la figure du Parisien hautain qu’il détestait pourtant eux-mêmes avant d’emménager à la capitale.
Dès lors, le parcours du PSG est l’occasion rêvée pour Céline de kiffer le moment. « Ça fait du bien d’être perçu de manière un peu plus positive que d’habitude. Après, ce que pensent Pierre, Paul ou Jacques de nous, je m’en fous un peu. Limite, plus on est détesté, plus je me délecte de ça, car on aime être seul contre tous, c’est un peu l’histoire de notre vie avec ce club. Mais voir que les choses s’inversent, ça fait quand même plaisir. On a toujours été mal-aimé et tout d’un coup on sent une sympathie pour le PSG, pour cette équipe qui fait plaisir à voir. Ma plus grande victoire c’est quand ma nièce du nord de la France m’a demandé un maillot du PSG à Noël. »
Quand Paris se découvre une âme sportive (et gagneuse)
Ce changement brutal de perception, voilà pour Jean-Baptiste Guégan le véritable motif de satisfaction. « Le chambrage est une chose mais quand on arrive en province, ils sont bien contents de voir le PSG et leurs stades sont remplis. Et au fond, je suis sûr que de Brest à Rennes, en passant par Lille ou Toulouse, il y a une vraie satisfaction de voir ce PSG aussi bien jouer et représenter la France. » Un an après avoir ébloui le monde et cloué le bec des anti-JO, qui bon an mal an ont tous plus ou moins fini par se laisser emporter par la folie olympique, la capitale française semble se plaire dans cette posture de vendeuse de rêve sur le plan sportif.
Jean-Baptiste Guégan, encore : « Paris, aujourd’hui, c’est l’héritage des Jeux, c’est le Paris FC en Ligue 1, ce qui mettra enfin un terme à cette anomalie d’être la seule capitale européenne avec un seul club dans l’élite, c’est le PSG en finale de C1 et Roland qui a fait de magnifiques adieux à Nadal. C’est un Paris sportivement historique, surtout si on ajoute ce qu’a fait le Paris Basketball aussi. On est sur une dynamique sportive inédite, et ça fait du bien d’entendre parler de sport et de Paris de manière uniquement positive. Non seulement Paris vit sa meilleure vie mais en plus l’avenir devrait être probablement encore meilleur. »
Une équipe sympa pour réconcilier une France divisée
Fière comme jamais d’être Parisienne, Céline l’est aussi de voir la France se prendre d’amour pour son équipe, pour cette bande de jeunes joueurs travailleurs, humbles, qui ne se la pètent pas et qui donnent leur vie sur le terrain à chaque match. Et si elle se marre en voyant les Marseillais se ruer sur les maillots de l’Inter, un club dont les tifosi ne portent pourtant pas du tout les fans de l’OM de leurs cœurs, elle apprécie surtout cette parenthèse enchantée qui lui rappelle que le foot peut quand même être merveilleux quand il procure autant de belles émotions.
« C’est un peu comme pendant les périodes de Coupe du monde ou de JO, c’est un moment hors du temps qui permet de mettre du bonheur dans nos vies, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette société. Mais là, tout est beau, tout est plus léger, tu te lèves le matin, t’as le sourire, tu te couches le soir, t’as le sourire. Il n’y a pas beaucoup de moments comme ça, ça me fait penser à la légèreté de 1998, c’est un kif total ! ».
Cette équipe parisienne et les joueurs qui la composent ont touché le petit cœur tout mou d’une bonne partie des fans de foot dans l’hexagone, au point qu’on se demande aujourd’hui, comme Jean-Baptiste Guégan, si « cette équipe n’était pas carrément le remède à cet anti parisianisme primaire, artificiel et caricatural ? Si ça gagne et que ça ne casse pas, derrière, c’est possible. Ça serait le visage d’une capitale apaisée et qui gagne, qui se représente elle-même autant qu’elle représente le pays. » Il aura donc fallu attendre plusieurs siècles pour qu’une bande d’adorables zonards réconcilient deux France qui, jusqu’ici, aimaient tellement se détester. Fort, très, très fort.