A seulement 26 ans, en 2016, on diagnostique à Florian Deygas, installé dans les Landes depuis 2014, une sclérose en plaques, une maladie auto-immune qui affecte le système nerveux central. Quand il reprend son poste de conducteur de car au sein de l’entreprise de transports publique du département Trans Landes, trois mois après l’annonce de sa maladie, c’est la double peine.
L’employeur n’adapte pas son poste, il subit des remarques racistes et déplacées, sa santé et son moral se dégradent jusqu’à son licenciement le 16 juillet 2019, pour inaptitude. Il raconte à 20 Minutes son combat devant le tribunal des prud’hommes qui s’est soldé avec la décision de la Cour de cassation du 19 mars 2025. Celle-ci a confirmé la décision de la cour d’appel de Pau en date du 5 octobre 2023 qui rendait le licenciement nul. L’employeur a été condamné à lui verser la somme de 30.000 euros.
Vous sentez-vous soulagé après ce périple judiciaire de sept années qui a abouti en votre faveur, ce 19 mars ?
Je n’arrive pas à me dire que c’est une victoire. En tout cas elle est sans triomphe. On me dit que j’ai gagné mais à mon sens, je suis encore en guerre. Pour faire face à la sclérose en plaques, le stress n’aide vraiment pas et j’ai beaucoup de douleurs actuellement. J’ai obtenu 30.000 euros, ce qui ne représente même pas un an de salaire et à 36 ans, ma carrière est brisée, avec la reconnaissance par la Sécurité sociale d’une invalidité de catégorie 2.
J’ai retenu une phrase très importante dans l’arrêt de la cour d’appel. Pour moi, elle vaut tous les dommages et intérêts : « A la lecture des pièces versées par le salarié et non sérieusement contredites objectivement par Trans Landes, la cour a acquis la conviction que M. Deygas a subi des agissements répétés, que ce soit des insultes, des remarques inadaptées, absence de prise en compte adéquate de son état de santé dans l’organisation de son travail ou de la reprise du travail qui ont entraîné une dégradation de ses stipulations de travail et ont european des incidences sur son état de santé et qui doivent être qualifiés de harcèlement au travail. »
Remark se passe votre retour au travail ? Et à quel moment avez-vous compris que vous étiez harcelé ?
Après trois mois d’arrêt maladie, le temps d’encaisser le diagnostic et de gérer les effets secondaires de la cortisone à haute dose, je voulais repartir travailler. C’était l’été, les bus étaient pleins. Alors que j’étais encore arrêté, on m’a fait miroiter un poste de chef de secteur, une mission moins physique où l’on n’a pas à charger et décharger les bagages des touristes, par exemple. Mais quand, encore en arrêt, je me présente pour candidater, on me dit : « Vous partez avec un trop grand handicap pour le poste. »
J’ai relativisé en me disant que dans le secteur du transport, les gens sont un peu bornés. Je reprends donc en juin, en mi-temps thérapeutique, à mon poste initial de conducteur. Ma maladie peut entraîner des perturbations motrices et mon traitement me donnait des bouffées de chaleur. Ce sont les raisons pour lesquelles mon médecin préconise un bus automatique et climatisé. Mais à ma reprise, je me retrouve au volant du plus vieux bus de la régie. A la fin de la journée, je suis rentré en pleurs au dépôt.
Ils m’ont dit que c’était une erreur mais de plus en plus, j’ai european les bus qu’il ne fallait pas. La path me disait « il y en a des plus malades que toi » ou « les médecins de travail ne savent pas remark cela se passe sur le terrain ». Le directeur des ressources humaines me fait comprendre qu’en l’absence de bus à boîte automatique, il faudra bien que je me contente des manuels. Sur les petites routes de Soustons, dans les Landes, je restais en 3e (comme en seconde avec une voiture), je ne pouvais pas embrayer ni débrayer avec ma jambe gauche mais je voulais aller au bout pour les gamins. Je suis arrivé en retard au collège ce jour-là.
En plus de cela, j’ai le droit à des remarques racistes. Le chef de secteur m’a lancé un jour : « salut Daesh, tu viens chercher les tickets resto pour toute ta famille » ou encore « remark va l’immigré ». Il a assuré que c’était de l’humour mais a été condamné par la cour d’appel de Pau pour insultes racistes.
Je devais voir tous les trois mois le médecin du travail en visite médicale pour le renouvellement de mon mi-temps thérapeutique mais mon employeur ne me tenait pas au courant à temps des rendez-vous. Et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que j’étais harcelé. Finalement, la médecine du travail m’a appelé pour me dire que mon employeur refusait les mi-temps thérapeutiques. S’en sont suivis deux ans et demi de dépression, d’attaques de panique et de traitements médicaux avant d’être licencié pour inaptitude.
Remark avez-vous réussi à tenir, moralement et financièrement ?
Ma compagne Jennifer a été d’un grand soutien. Quand j’étais à terre, très mal, elle m’a dit qu’elle ne pouvait plus me voir comme ça et que je devais voir mon psychiatre. Courant 2022, j’ai été admis en hôpital de jour à Bayonne, et j’y ai retrouvé d’anciens salariés, dont le chef de secteur qui m’avait formé en 2014, à mon arrivée dans l’entreprise.
Au niveau financier, Jennifer était en alternance et moi je ne touchais plus que 1.150 euros au lieu d’environ 2.000 euros quand j’étais salarié. C’est alors que la CFDT m’a proposé de financer la procédure civile alors que je n’étais même pas adhérent. J’ai adhéré après. Le syndicat a compris qu’il se passait quelque chose de grave dans cette entreprise. J’ai aussi bénéficié d’un élan de générosité sur Twitter, pour mes frais d’honoraires d’avocat (3.000 euros) pour le début de la procédure pénale. Sans Twitter je n’aurais pas pu tenir.
Pendant ces années-là, j’ai fait des poussées de sclérose en plaques. Plus vous stressez plus votre corps se braque et un matin je ne pouvais plus me lever. J’ai fini en fauteuil roulant, et il m’a fallu des mois de rééducation pour pouvoir marcher normalement.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
Je défends les droits des personnes handicapées et j’interpelle les ministres en tant que responsable départemental d’APF France handicap, administrateur de France sclérose en plaques et membre du haut conseil au travail social. Cela reste des activités bénévoles. Ils m’ont tellement détruit que ça m’empêche de repartir en entreprise à temps plein. Quand je serai prêt, je vais peut-être me reconvertir dans le social.
Je prends la parole pour ceux qui n’ont pas mes ressources et leur dire de ne pas rester seuls. Je sais aujourd’hui qu’il existe des dispositifs. Si le service des ressources humaines de l’entreprise m’avait aidé, il y aurait european, par exemple, la possibilité de financer un bus adapté.
Toutes nos infos sur le harcèlement
On ne peut pas laisser une entreprise publique agir comme ça. J’ai porté plainte contre X au pénal, dans cette affaire. En attendant, je me réjouis qu’après en avoir été empêchés pendant toute cette affaire, on se marie enfin avec Jennifer, le 14 juin.