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L’enquête conduite par la réalisatrice Claire Billet et l’historien Christophe Lafaye lève le voile sur une page méconnue du conflit : l’utilization à grande échelle de gaz toxiques contre les combattants algériens entre 1956 et 1962.

Image extraite du documentaire « Algérie, sections armes spéciales » de Claire Billet et Christophe Lafaye.

En déprogrammant un documentaire inédit sur la guerre d’Algérie quelques jours à peine avant sa diffusion, prévue dimanche 16 mars dans l’émission La Case du siècle (France 5), France Télévisions n’imaginait pas que sa décision provoquerait autant de remous de l’autre côté de la Méditerranée. « C’est un défaut de vigilance de notre part sur un sujet sensible », admet la route du groupe, contactée par Le Monde. France Télévisions assure avoir voulu « ajuster ses programmes pour être en part avec l’actualité géopolitique du 2nd », d’où le choix de consacrer la soirée du 16 mars à la Russie et aux Etats-Unis, et celle du 23 mars à la Syrie. « Le documentaire sera remis à l’antenne d’ici au mois de juin », soutient la route du groupe.

Dans le climat tempétueux qui imprègne depuis plusieurs semaines les relations entre Paris et Alger, l’annonce, le 11 mars, du retrait de la grille de l’enquête de Claire Billet et Christophe Lafaye « Algérie, sections armes spéciales », a suscité une vague d’indignation en Algérie. La mise à disposition du programme, dès le lendemain, en libre accès sur la plateforme numérique du groupe audiovisuel français, n’y a rien changé.

Le même jour, le quotidien officiel El Moudjahid y consacrait sa manchette, évoquant un « fracassant scandale » sous un titre cinglant : « la France bafoue la liberté et fait taire un documentaire qui révèle ses crimes ». Des extraits du movie, disponible depuis le 9 mars sur le situation de la Radio Télévision Suisse (RTS), circulaient déjà sur les réseaux sociaux.

Prenant le contrepied de France Télévisions, les chaînes publiques algériennes ont diffusé le documentaire dans la soirée du 12 mars. Une démarche qui répond, selon l’historien Christophe Lafaye, chercheur associé à l’Université de Bourgogne Europe, à « un besoin d’histoire extrêmement necessary au sein de la société algérienne, un besoin aussi de reconnaissance des préjudices de la guerre coloniale ».

Au moins 440 grottes identifiées

Automobile l’enquête qu’il a conduite avec la réalisatrice Claire Billet lève le voile sur une page sombre et méconnue de la guerre : l’utilization à grande échelle de gaz toxiques contre les combattants algériens. Un article paru dans la revue XXI, en 2023, signé de Claire Billet et adossé aux recherches de Christophe Lafaye, avait déjà donné la parole à quelques témoins, dont les visages ponctuent le documentaire. « Je voulais travailler sur la mémoire de la guerre d’indépendance, et je me suis dit qu’il fallait recueillir leur parole au plus vite car ils sont âgés aujourd’hui », explique la journaliste, qui a filmé une partie des photos en Kabylie et dans le massif des Aurès, près d’une grotte où sont morts de nombreux civils.

Comme le rappelle l’historien, la mission de ces sections armes spéciales était double. Elles intervenaient « pour lutter contre les combattants de l’Armée de libération nationale réfugiés dans les grottes et pour procéder à des infections systématiques des grottes qui ne pouvaient pas être totalement détruites » et dont les parois sont toujours contaminées, plus d’un demi-siècle après la fin des combats. Le gaz identifié sur des documents militaires est le CN2D, un composé de chloroacétophénone – irritant puissant – et d’adamsite – agent vomitif –, dont l’emploi massif obligeait les insurgés à fuir les sites « traités », au risque d’y mourir. La méthode rappelle les « enfumades » auxquelles a eu recours le corps expéditionnaire français durant la conquête de l’Algérie au XIXe siècle.

Entre 8 000 et 10 000 opérations de ce type se seraient déroulées sur le sol algérien entre 1956 et 1962, évalue l’universitaire, qui n’a localisé que 440 lieux jusqu’ici, entravé dans ses recherches par un accès très limité aux comptes rendus d’opérations et aux documents d’état-most essential. Selon le code du patrimoine issu de la loi de 2008, ces éléments répondent au régime des archives incommunicables à perpétuité, au prétexte qu’elles seraient susceptibles « d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue ».

Une décision politique

A partir des archives nationales d’outre-mer, de fonds privés, de courriers collectés chez des descendants, Christophe Lafaye a tout de même pu mettre en lumière cet utilization de gaz toxiques, expérimental en 1956, puis généralisé sur l’ensemble de l’Algérie à partir de 1957 avec la création de la Brigade armes spéciales (BAS) et la mise sur pied de 119 équipes de grotte. Cette organisation a été rationalisée à la faveur du plan Challe (du nom du général Maurice Challe) en 1959.

La déprogrammation du documentaire « Algérie, sections armes spéciales » n’est qu’une « péripétie » aux yeux de l’historien, mais elle aidera peut-être à faire parler de cette page méconnue de l’histoire et à faire réagir l’Etat : « Ce n’est pas l’armée seule qui a pris la décision de recourir aux armes chimiques, c’est une décision politique de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la défense en 1956, agréée par les autorités civiles et militaires en Algérie ».

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« Le movie existe grâce à France Télévisions qui y a consacré des moyens financiers, reconnaît Claire Billet, mais s’il n’y avait pas european cette polémique, je ne suis pas certaine que l’on en aurait autant parlé, alors qu’il aborde un sujet d’utilité publique ». La réalisatrice a été contactée par la parlementaire écologiste et secrétaire de l’Assemblée nationale Sabrina Sebaihi, qui souhaite projeter le documentaire devant les députés.

Simon Roger

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