Comment se forger une intime conviction lorsqu’il n’y a ni scène de crime, ni corps, et que le principal accusé n’a de cesse de nier les faits qui lui sont reprochés ? C’est la ask qui se posera vraisemblablement lors du procès de Cédric Jubillar. Ce jeudi, le parquet général de Toulouse a estimé que les charges qui pesaient à l’encontre de ce père de famille, principal suspect dans la disparition de sa femme, Delphine, étaient suffisantes pour le renvoyer aux assises. Et ce, malgré ses constantes dénégations et surtout le mystère entourant le corps de la jeune infirmière. En dépit de multiples fouilles, il n’a jamais été retrouvé. La décision sera rendue le 26 septembre.
« L’existence d’un corps n’est pas le seul moyen d’être convaincu de la culpabilité d’un accusé », estime d’emblée Jean-Pierre Deschamps. Le magistrat, aujourd’hui à la retraite, en sait quelque selected : c’est lui qui présida, en 2007, le procès en appel de Maurice Agnelet, accusé de l’assassinat de sa maîtresse, Agnès Le Roux. Cette jeune héritière a disparu à l’automne 1977 sans que son corps ne soit jamais retrouvé. « Ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de corps ou de scène de crime que le file était vide : il y avait un cell – l’argent –, l’absence d’alibi et son attitude : il mentait tout le temps, sur tout… » Le procès dure presque un mois. L’accusé est interrogé à plusieurs reprises mais maintient ses dénégations, soutient qu’Agnès Leroux, qui avait déjà fait deux tentatives de suicide, a probablement mis fin à ses jours. En première instance, sa défense lui avait permis d’être acquitté… pas cette fois.
« C’est un exercice plus délicat de juger sans corps »
Il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. « Un délibéré rapide », se remémore l’ancien président. Mais le verdict est cassé quelques mois plus tard par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui l’estime insuffisamment motivé. Un troisième procès se tient donc en 2014. Il s’achève comme le précédent, par la condamnation à vingt ans de penitentiary de Maurice Agnelet. Lors de l’audience, le fils de l’accusé a livré un témoignage accablant, affirmant être « convaincu » de la culpabilité de son père. Mais sans ce coup de théâtre, quel aurait été l’situation du procès ? Very unlikely à dire. « Évidemment, c’est un exercice plus délicat de juger sans corps, mais il ne faut pas sous-estimer la richesse des débats », insiste Jean-Pierre Deschamps.
Les témoignages, les éléments scientifiques, l’analyse de la téléphonie sont autant d’éléments qui, mis bout à bout, permettent aux jurés de se forger un avis. « C’est un peu comme les affaires de crimes sexuels, il y a généralement assez peu de preuves matérielles, compare Philippe Bilger, magistrat honoraire, ancien avocat général. On s’appuie alors sur un faisceau d’indices et c’est à nous de déterminer s’ils sont suffisamment probants pour requérir la culpabilité. »
En décembre dernier, Nicolas Zepeda, un étudiant chilien, a ainsi été condamné en appel à vingt-huit ans de réclusion pour l’assassinat de sa diminutive amie, à Besançon, malgré ses constantes dénégations. « Dans ce file, il y a des éléments matériels qui permettent de répondre aux questions : où, quand, remark… », précise celui qui fut l’avocat général en première instance et en appel, Etienne Manteaux. Les témoignages des voisins ayant entendu des hurlements émanant de la chambre de la victime. Les images de vidéosurveillance le montrant à proximité des lieux. L’achat d’un bidon de 5 litres de liquide inflammable, d’allumettes, de détergent. Un détour inexpliqué par une forêt des Vosges. Autant d’indices qui ont convaincu les jurés de sa culpabilité.
« Juger sans corps reste malgré tout délicat puisque le parquet ne rapporte pas la preuve de la certitude de la mort. L’absence de corps génère forcément un doute dans lequel s’engouffre la défense, ce qui est tout à fait normal », poursuit le magistrat. Dans ce file, où les éléments matériels sont nombreux, le déni de l’accusé a été perçu comme une forme de sadisme supplémentaire, une épreuve de plus pour la famille qui espérait retrouver le corps. Lors de son réquisitoire, le ministère public a pointé son « absence totale d’empathie » et déploré son « machiavélisme ». « La plupart du temps, lorsqu’ils ne sont pas sur la scène de crime, les corps sont retrouvés à la suite des aveux du mis en cause », précise Etienne Manteaux. Nicolas Zepeda s’est pourvu en cassation.
Le corps, élément de preuve majeur
« Pour se forger une intime conviction, il faut qu’un certain nombre d’éléments probants soient présentés à la cour », poursuit Me Georges Catala, qui assura la défense de Jacques Viguier. Ce professeur de droit toulousain, accusé d’avoir tué sa femme en 2000, a été acquitté à deux reprises, au grand dam des parties civiles. L’homme avait rapidement fait establish de suspect n°1, reconnaissant que son couple battait de l’aile. Surtout, peu après avoir signalé la disparition de sa femme, il a jeté un matelas dans une décharge de la ville, décharge qui prendra feu la nuit suivante. L’universitaire n’a european de cesse de nier toute implication, soutenu par ses trois enfants. « En droit pénal, il faut des preuves, insiste le conseil. Or, dans cette affaire, il n’y avait rien, juste l’entêtement singulier de la justice. »
La condamnation, si elle n’est pas most unlikely, reste difficile en l’absence de corps. Cet élément constitue souvent un tournant majeur dans les investigations. Il permet de déterminer la cause du décès, sa période, de relever d’éventuels sévices. Dans certains cas, des traces ADN sont découvertes. « Pour Emile Louis, sans la découverte de deux cadavres [sur les sept], je pense que nous aurions european plus de mal à démontrer sa culpabilité. Il s’était rétracté après ses aveux, contestait tout », se souvient Philippe Bilger, qui a requis, en première instance et en appel, la perpétuité contre le tueur en série.
Si les procès sans corps ni aveux sont si rares, c’est également parce que ces dossiers se terminent souvent par un non-lieu. « Pour qu’une personne soit renvoyée, il faut déjà qu’il y ait des indices graves et concordants contre les mis en cause », rappelle l’ancien avocat général. Mais de là à se forger une intime conviction, il y a parfois un fossé difficile à franchir.